Le Mont-Iseran : récit d'une montagne imaginaire

Dans l’immense histoire de la cartographie alpine, certaines erreurs sont devenues de véritables mythes. Le Mont-Iseran en est l’un des exemples les plus fascinants : Une montagne fantôme, décrite comme un sommet majestueux de plus de 4 000 mètres, représentée pendant plus de deux siècles et demi sur les cartes européennes…alors qu’elle n’a jamais existé.

Un sommet mystérieux qui apparaît sans altitude

Tout commence au XVIIe siècle : les premières cartes mentionnent le Mont-Iseran mais sans altitude. Impossible de savoir alors s’il s’agit d’un massif, d’un pic ou simplement d’un col que nous connaissons aujourd’hui.

D’une carte à l’autre, son nom varie, son emplacement change, et son interprétation aussi. Certains cartographes le place au niveau de l’actuelle Aiguille Pers, d’autres à la grande Aiguille Rousse, au Signal de l’Iseran, ou encore directement sur l’emplacement du col.

La géographie alpine, encore mal connue, laisse alors place à l’imagination.

Quand la confusion fait naître un géant

A distance, les voyageurs et alpinistes confondent le mystérieux Mont-Iseran avec les géants environnants : Le Grand Paradis, la Grande Sassière, la Levanna, voire la Grande Casse. Peu à peu, par amalgame, par répétition d’erreurs et par simple crédibilité accordée aux cartographes renommés, le Mont-Iseran devient…un 4 000 mètres

La Légende se nourrit d’elle-même :

On le compare à une pyramide ou à un à pain de sucre, certains guides prodiguent même des conseils d’ascension. Un alpiniste inconnu écrit au Times pour raconter le récit détaillé…de sa fausse ascension !

Les explications se multiplient pour justifier qu’aucun voyageur ne l’aperçoive : conditions météo difficiles, montagnes environnantes qui le cache, accès compliqué, …

Et surtout une croyance répandue à l’époque : seuls les plus hauts sommets peuvent êtres à l’origine de plusieurs rivières. Le secteur de l’Iseran est à l’origine de quatre cours d’eau, la conclusion paraît logique aux yeux des géographes de l’époque.

Des indices pourtant visibles…mais ignorés

De nombreux carnets de voyage contiennent pourtant des indices flagrants :

Des alpinistes passent par le col
Certains le traverse à cheval

Aucun ne décrit une pyramide de 4 000 mètres dominant le secteur

Ces témoignages auraient pu dissiper le mythe, mais la réputation des cartographes et la manque de connaissance précise du terrain suffisent à entretenir l’illusion.

Des cartes sardes qui entretiennent la légende

A cette époque, la Savoie appartient au Royaume de Sardaigne. Les cartographes sardes réalisent alors des cartes très détaillées des Alpes, dans le but de renforcer leur contrôle territorial et leur crédibilité scientifique. Le Mont-Iseran y apparaît très clairement.

Sa présence dans ces documents officiels lui donne une légitimité irréfutable aux yeux des Européens. Il se trouve même inscrit dans la liste des sommets les plus hauts des Alpes, dépassant même l’Eiger (Suisse – 3 967m)

Des alpinistes anglais fascinés par le Mont-Iseran

Cette montagne « oubliée » intrigue particulièrement les alpinistes britanniques, alors en pleine conquête des Alpes. Deux d’entre eux, partis séparément mais à la même époque, décident de venir gravir ce mystérieux sommet dominant le col.

Arrivés sur place, ils font la même découverte : le Mont-Iseran n’existe pas ! Aucune pyramide, aucun géant de 4 000 mètres, rien d’autre qu’un col que nous connaissons aujourd’hui.

Malgré leurs récits et leurs mises en garde, le Mont-Iseran continue pourtant d’apparaître sur les cartes pendant plusieurs décennies.

Un sommet fantôme pendant 255 ans

Du milieu du XVIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle, le Mont-Iseran figure sur 91 cartes, publiées entre environ 1635 et 1890. Une longévité stupéfiante pour un sommet imaginaire.

Ce n’est qu’avec le progrès de la cartographie scientifique, des relevés topographiques et de la géodésie moderne que la montagne disparaît enfin des cartes.